Résolutions sans… solutions?
Réunis ces derniers jours à Addis-Abeba, les chefs d’Etat membres de l’UA ont adopté deux résolutions qui font aujourd’hui scandale, tant elles sont à l’opposé des aspirations des peuples africains. La première envisage la création d’une force d’intervention rapide, tandis que la seconde tend à condamner la CPI qualifiée de «raciste», car ne s’en prenant qu’aux seuls dirigeants africains.
Dans un tout autre contexte, on aurait vivement applaudi à ce projet de création d’une force d’intervention rapide. Mais, la situation est tout autre: l’Afrique va très mal, et le terrorisme ne semble être que l’une des conséquences du mal. Oubliées, en effet, la faim et la soif qui tenaillent des millions de mères, d’enfants et de personnes âgées!
Oubliées la misère, la maladie, la souffrance sous toutes ses formes! Oubliés le mal développement du fait de la mal gouvernance dont les rébellions et les délestages sont aujourd’hui des preuves concrètes! Reste que ce projet demeure tout de même un défi entre les mains de dirigeants venus par les armes et non par les urnes.
Ceux-ci semblent avoir pris cette résolution comme lors d’une messe rituelle pour gangsters ne connaissant que le langage des armes et de la poudre. Le terrorisme obsède à tel point qu’on n’a pas envisagé un seul instant qu’il pourrait plutôt menacer les acquis de cinquante ans de tentatives de réalisation de projets panafricains, de projets socio-économiques tout court.
On songe davantage à sa propre survie. Imperturbables, mais surtout égoïstes, ces chefs d’Etat n’oublient pas que la CPI constitue une épée de Damoclès au-dessus de leur tête! Il faut donc tout faire pour la «contrôler», la «mettre aux ordres» comme on en a l’habitude dans nos républiques bananières. A défaut de pouvoir le faire, il faut ouvertement la condamner et souhaiter sa disparition même sous des prétextes fallacieux. De qui se moque-t-on?
Le fait de s’attaquer à la CPI montre que des dirigeants africains n’ont aucun état d’âme. Que ne feraient-ils donc pas si d’aventure cette organisation était mise hors jeu? Ils en oublient même qu’en dehors des Africains, sans broncher, des dirigeants d’Europe de l’Est ont accepté de subir leur part d’humiliation et de payer ainsi leurs forfaitures. Pourquoi n’avoir pas perçu à travers la CPI, un organisme mondial qui a fait la promotion de la femme africaine, en propulsant à sa tête une Gambienne dont l’audace et les mérites réconfortent tant d’Africains?
Déplorable que la Dame Zouma, première femme africaine à la tête de l’UA, n’ait pas cru devoir modérer les ardeurs belliqueuses de nos dirigeants. Elle aurait pu au moins demander qu’on tempère les critiques, et qu’on encourage une sœur du continent qui commence, comme elle, à affronter ce monde d’hommes si controversé, parce que traversé par moult intérêts contradictoires au point de mettre le bon sens en péril.
Dans la capitale éthiopienne, les chefs d’Etat n’étaient vraiment pas partis pour évoquer les vrais problèmes qui tenaillent les Africains. Ils ont donc confirmé tout le mal que leurs opposants pensent d’eux: la plupart sont des anti-progrès notoires; et comme tels, ils ont purement et simplement enseveli les espoirs des peuples. Certes, lutter contre le terrorisme n’est pas mauvais en soi. En cela, le projet paraît salutaire.
Mais, les Africains sont tellement habitués à ces rencontres interminables qui donnent naissance à des projets qui tardent à démarrer et pour lesquels on mène toujours des combats de chiffonniers! Les uns veulent à tout prix contrôler la structure, d’autres veulent en obtenir le siège, et d’autres encore la gestion des ressources! Dans ce cas-ci, il faudra voir qui va vraiment en obtenir le haut commandement, pour mieux assujettir les autres, surtout l’autre qui provoque de temps en temps, en soutenant presque ouvertement les opposants du voisin. L’Afrique d’aujourd’hui est ainsi faite. Soyons plus sérieux!
De nos jours, le pouvoir se trouve au bout du fusil. Malgré les professions de foi, on rejette les résultats des urnes quand on perd. On détourne les comptes à son profit, on refuse l’alternance démocratique pour un rien. On garde le pouvoir à vie, tout en foulant au pied les valeurs les plus sacrées de nos terroirs. Qui donc ces chefs d’Etat de l’UA voudraient-ils pouvoir convaincre?
A l’analyse, nos chefs d’Etat membres de l’UA ont surtout peur du retour du balancier. Peur des conséquences de la mal gouvernance, car les peuples, excédés, sont presque partout en révolte. Ils ont compris que les pouvoirs sont confisqués à vie par certains, et que «seule la lutte paie». Le projet de création d’une force d’intervention rapide vise plutôt à protéger beaucoup de nos dictateurs au sommeil de plus en plus léger. Il est vrai que les exemples du Mali, du Nigeria et de la Somalie ont bien montré les limites de nos armées. Mais à qui la faute sinon à la mal gouvernance?
Si les agressions terroristes telles qu’on les connaît aujourd’hui perturbent le sommeil de certains dirigeants, c’est, entre autres, parce qu’ils ont eux-mêmes travaillé à fragiliser nos Etats ou nos armées du fait de leur gestion égoïste. Le cas centrafricain l’illustre bien. En effet, un dictateur de sinistre mémoire, comme le général-président Bozizé de Centrafrique a dû faire appel à des troupes sud-africaines pour protéger son régime. L’homme, qui avait perdu confiance en ses propres troupes, a fini par prendre la fuite puisqu’il ne pouvait, en aucun cas, compter sur le peuple centrafricain que lui et des élites irresponsables et corrompues avaient longtemps spolié.
Les Africains sont loin d’être dupes. Le projet de création d’une force d’intervention rapide ne vise qu’à protéger des chefs d’Etat devenus fébriles face à la révolte des peuples abandonnés à eux-mêmes. En s’attaquant du même coup à la CPI, ils confirment bien qu’ils cherchent à couvrir leurs arrières, après des années de gestion sans partage et dans l’impunité totale. Mais, que tous les dictateurs qui sont à la tête des Etats membres le sachent: rien n’arrêtera la lutte des peuples déterminés. Mal protégés comme jamais, ils sauront également se défendre.
Face à des dictatures qui bouchent tous les horizons démocratiques, piétinent les droits humains élémentaires, et désillusionnent la jeunesse, il y a fort à parier que la solution d’Addis-Abeba est loin d’être la meilleure. La création d’une telle force serait salutaire, si elle s’inscrivait dans le cadre d’une union africaine en voie de réalisation. Mais, vu les réalités de l’Afrique d’aujourd’hui, cette résolution si spectaculaire, ne donne aucunement l’impression de vouloir créer une force visant à s’attaquer à un ennemi bien identifié. Il faudra même s’attendre à voir cette nébuleuse défendre vaillamment des régimes aux abois sous les coups de boutoir de rebellions légitimes.
Le syndicat des chefs d’Etat défendra toujours ses acquis bec et ongles. Les peuples feraient donc bien de se réveiller et de barrer continuellement la route aux dictateurs et aux apprentis sorciers de la démocratie. Car, manifestement, la peur hante de plus en plus certains esprits, et il est hors de doute que c’est bien plus la peur de se voir balayer par les peuples en révolte que celle des terroristes.