Justice de 180°… à (180+7)°?
Jeudi 21 novembre 2013 s’est ouvert à Abidjan un procès impliquant une cinquantaine de militaires pour «complot et désertion à l’étranger» et «exactions et violations graves des droits humains sur la population civile».
L’événement ici, c’est la présence dans le box des accusés d’éléments des Forces armées de Côte d’Ivoire (FRCI), des militaires ayant combattu du côte du président Alassane Dramane Ouattara lors de la grave crise postélectorale.
Dans sa symbolique, ce procès constitue une importante avancée dans la lutte contre l’impunité dont jouissaient tous les hommes proches du pouvoir actuel et pourtant soupçonnés de graves crimes. Une «justice à deux vitesses» ou «justice des vainqueurs» longtemps dénoncée par les partisans du président déchu, Laurent Gbagbo, et critiquée par les ONG de défense des droits de l’homme, notamment Human Rights Watch (HRW) et Amnesty international.
L’on ne peut que se réjouir de ce début de gage de bonne volonté judiciaire du gouvernement ivoirien. Même si pour en arriver là, il eût fallu les imprécations et autres cris d’orfraie d’institutions et organisations nationales et internationales et de la société civile.
L’on observera que parmi la cinquantaine de prévenus, seulement 7 sont issus des rangs des FRCI. S’ils venaient à être reconnus coupables de la mort d’au moins 5 personnes survenue le 18 décembre 2011 à Vavoua, ce ne serait qu’un coup de glaive sur la fortification d’impunité derrière laquelle sont emmurés plusieurs ex-combattants pro-Ouattara. Même si leur identité n’a pas été officiellement dévoilée, on sait néanmoins que les moutons sacrificiels du camp des vainqueurs sont tous des soldats. Le menu fretin de la lagune Ebrié que l’on peut occire sans grands risques. Alors, pour les fervents défenseurs d’une justice impartiale, dont HRW, qui appelle les autorités ivoiriennes à immerger leurs filets dans les abysses de l’impunité où sont tapis des requins aux dents sanguinolentes, l’on est toujours loin du compte.
La pêche au gros que l’on pratique dans le camp Gbagbo est sans commune mesure avec cette poursuite de lampistes du côté d’ADO.
Que ce soit des militaires (le général Guiai Bi Poin, le commandant Jean-Noël Abéhi, le capitaine Anselme Séka Yapo… ) ou des civils (Pascal Affi N’Guessan, Simone Gbagbo, Blé Goudé… ) il n’y en a jusque-là que pour le FPI, l’ancien parti au pouvoir.
Quant aux gourous des forces armées des Forces nouvelles, les ex-rebelles qui ont soutenu politiquement et surtout militairement l’actuel chef de l’Etat ivoirien, c’est la saison des cerises: promotions fulgurantes dans l’armée, nominations à de hautes fonctions politiques et administratives et tout ce que cela entraîne comme avantages matériels.
«Début de la lutte contre l’impunité», on le veut bien. Mais hélas, ce n’est pas demain qu’on verra les Issiaka Ouattara, alias Wattao, Fofié Martin Kouakou, Zakaria Koné, Chérif Ousmane, Ousmane Coulibaly, dit Ben Laden, et pourquoi pas Guillaume Soro, chef politique de la rébellion aujourd’hui président de l’Assemblée nationale après le poste de Premier ministre, et tutti quanti, oui, ce n’est pas demain que cette génération spontanée de dignitaires qui jouissent impunément des fruits de leurs rapines seront inquiétés. Et Dieu seul sait leur part de sang dans le drame ivoirien.
C’est vrai, ADO ne peut rien actuellement contre tous ces princes qui l’ont fait roi et sont prêts à tout, surtout au pire, pour conserver les privilèges qu’ils n’auraient jamais imaginés même dans leurs rêves les plus fous.
Peut-être, au cours de son second et dernier mandat, l’ancien gouverneur de la BCEAO osera-t-il se départir de la tutelle de ceux qu’il traîne comme un boulet.