Justice soit faite!
Cinq mois après les faits, les responsables de la noyade de plus de 300 migrants africains sur les côtes italiennes affrontent les juges.
Plus de 5 mois après, Lampedusa repasse à la loupe la chaîne des responsabilités qui lui valut un coup de projeteur géant de la planète: plus de 300 cercueils alignés, dont ceux de petits enfants, d’hommes et de femmes tentant de fuir l’Afrique pour gagner l’Europe à tout prix. Ce jour-là, le 3 octobre 2013, quelque 500 désespérés s’étaient entassés dans un navire tout aussi fatigué qu’eux. L’eau s’étant infiltrée, la foule se regroupa d’un seul côté: naufrage. Il fallait se sauver à la nage, les côtes siciliennes de Lampedusa n’étant pas loin.
Plus de 300 personnes ne purent nager ou furent entraînées au fond par la masse de ceux qui s’agrippaient à n’importe quoi pour en réchapper: 300 morts dans une logique où les chiffres ronds, dans tout drame humain, n’arrangent que rarement la vérité des faits. Cet événement fut comme un électrochoc pour une Italie où, pourtant, ce n’était pas la première fois que même en direct à la télévision, des désespérés venaient mourir sur les plages du Sud de la péninsule. Mais cette fois-là, c’était trop. Trop monstrueux. Le pays observa un deuil national, offrit des funérailles. Le Premier ministre de l’époque, Enrico Letta, alla s’incliner sur les cercueils des victimes. Fin du premier acte.
L’acte suivant, au-delà des péripéties qui ont suivi et qui toutes sont faites de réactions indignées autour d’une telle monstruosité, s’est ouvert vendredi dernier devant la cour d’assises d’Agrigente présidée par Luisa Turco. L’accusation est soutenue, au nom de l’État italien, par Andrea Maggioni. Mais à la barre, curieusement, une seule personne. Pour l’instant, précise-t-on. Il s’agit de Mouhamoud Muhidin, un Somalien de 34 ans poursuivi pour avoir fait partie de la bande criminelle ayant organisé l’effroyable équipée.
Ce qu’il y a de simple avec les flux migratoires à Lampedusa, c’est que les membres de la filière organisatrice finissent eux aussi dans les centres de rétention avant leur expulsion (quand ils ne sont pas repérés) ou en prison quand leurs victimes les dénoncent. C’est ce qui est arrivé cette fois. Muhidin faillit déjà être lynché par la foule des survivants dans le centre où les survivants avaient été conduits. Mais avec lui avait opéré aussi, au cours de cette journée funeste, un Tunisien dont le dossier est en cours d’examen par les enquêteurs de la justice italienne.
D’autres accusés pourraient venir à la barre, dit-on. Car le délit constitutif des poursuites n’est pas le seul encouragement à l’immigration clandestine. Bon nombre d’immigrants subsahariens ont raconté avoir été rançonnés, battus, emprisonnés par leurs bourreaux improvisés aussi bien dans le désert du Sahara à traverser que dans les pays de transit: Niger, Tunisie, Maroc ou, surtout, Libye. En plus de leur verser une importante somme d’argent pour un passage pas toujours dépourvu de risques, comme on le voit, des femmes ont rapporté avoir été violées dans cette aventure et dépouillées de tout.
Cette affaire met en lumière les bas-fonds d’une misère où rarement ceux qui en profitent comme passeurs sont eux-mêmes plus fortunés et dépourvus d’ambition de voyager au-delà des mers. Cela peut-il les exonérer de la culpabilité de se payer sur le dos d’un désespoir qui pousse à tout? Pas certain. Dans les «nations d’accueil», les politiques sont à la sévérité par rapport à la question de l’immigration clandestine. Pour un trafiquant pris la main dans le sac, la sévérité se double du désir de faire un exemple dans ce pays où les débats en contrastes politiques virulents tendent à conforter une forteresse de protection autour de l’Europe.